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En coulisse, la liberté du Net est peut-être menacée

En coulisse, la liberté du Net est peut-être menacée

Lors d’un sommet en fin d’année, à la demande de plusieurs Etats, l’Union Internationale des Télécommunications pourrait modifier le traité fondateur qui a servi au développement d'Internet et qui garantit jusqu’à présent une grande liberté sur le réseau...

C’est une histoire en cascade et extrêmement complexe. Une de ces histoires qui pourraient avoir de lourdes conséquences pour tous les Internautes à travers le monde. Une de ces histoires où rien n’est tout noir ou tout blanc, mais où tout est source d’inquiétude, parce que c’est de nos libertés et d’un des outils qui permet notre expression dont il est question.

Une mise en garde
Régulièrement, depuis quelque temps, Robert McDowell, très respecté et reconnu commissaire au sein de la FCC, la Commission fédérale sur les communications américaines, publie des chroniques dans la presse américaine où il crie à qui veut l’entendre que la liberté du Net est menacée, généralement, par l’ONU.

Et le commissaire américain d’expliquer que l’UIT, pour Union Internationale des Télécommunications, rattachée à l’ONU depuis 1947, va revoir en décembre prochain, à la demande de quelques-uns de ses 193 Etats membres, le traité de 1988 à l'occasion de la WCIT, la World Conference on International Telecommunications. Et ce n'est pas rien : le traité de 1988, également appelé Traité International de Régulation des Télécommunications, a permis l’éclosion et le développement autant structurel qu’économique du Net tel qu’on le connaît aujourd’hui.


FiG.1.

Les risques d’une révision
Revoir le traité n’est en soit pas foncièrement mauvais. Selon Robert McDowell, le plus inquiétant tient davantage aux propositions d’amendements du traité et à ceux qui les ont soumises. Dans sa chronique de février dernier, il pointe ainsi du doigt la Chine, la Russie et leurs alliés.
Des pays qui veulent mettre en place des systèmes de facturation des flux de données qui pourraient nuire au peering, à la base d’une certaine liberté et d’une certaine transparence dans les échanges entre opérateurs et pays. La Chine et la Russie souhaiteraient également qu’une entité internationale récupère les pouvoirs et compétences de certaines institutions internationales, non affiliées à des gouvernements ou pays, comme l’IETF ou l’ICANN.

Un passif économique et politique lourd
On comprend alors évidemment que les motivations économiques servent au mieux à accompagner des motivations politiques claires. Des motivations dans lesquelles différents acteurs se retrouvent mais pas forcément pour les mêmes raisons.
Le premier groupe se compose, schématiquement, de nombreux pays en voie de développement ou désormais en pleine croissance, qui aimeraient que les Etats-Unis lâchent un peu du lest et contrôlent moins étroitement certaines institutions, comme l’Icann par exemple, qui sont au cœur du fonctionnement d’Internet.

Un peu à la manière des non-alignés des années 60/70, ces pays aimeraient pouvoir peser dans la balance du Net et de son économie.
Le second groupe réunit la Chine et la Russie, plus quelques satellites. Mus par une volonté de partage du pouvoir sur Internet, ces deux pays ont également une vue très différente de ce que doivent être les libertés sur le réseau des réseaux. D’où une volonté de créer des instances internationales de contrôle et de surveillance, comme le rapporte Robert McDowell. Une position qui, ceci étant dit, n’est pas toujours très loin de la manière de procéder des Etats-Unis. Rappelons-nous de l'affaire Megaupload et de l'intervention manu militari, pilotée par le FBI contre le site.
l'EFF et une armée d'associations entrent en scène.

On pourrait se dire que Robert McDowell s’inquiète parce qu’il est ici représentant des intérêts politiques et économiques des Etats-Unis. Pourtant, hier, 17 mai 2012, l’EFF, l’Electronic Frontier Foundation, et une trentaine d’associations et comités défendant les libertés sur le Net, se sont fendus d’un communiqué inquiet, dans lequel ils dressent une liste de demandes.

Cette lettre est un appel à ce que le processus de préparation du WCIT soit plus transparent, que les documents soient communicables, que les grandes entités et associations civiles soient associées aux discussion et qu’au sein de tous les Etats membres un processus de discussion citoyenne soit instauré.



FiG.2

Page d'accueil du site de l'UIT.

150 ans de démocratie
Des demandes qui ne semblent pas exhubérantes et qui sont bien dans la ligne droite de cet amour très américain pour la démocratie directe. Pour autant, est-il envisageable de mettre de tels chantiers en place ? Le débat, extrêmement technique, est-il abordable par tous ? Beaucoup de questions pour des enjeux colossaux.

L’UIT, contactée en février dernier par nos soins et qu’on aurait aimé diserte, n’avait pas pu répondre aux questions qu’avait suscitée au sein de la rédaction la lecture de la chronique de Robert McDowell. Il nous avait toutefois été précisé qu’au sein de l’UIT les décisions sont prises de manière démocratique, chaque pays membre possédant une voix. De même, il nous avait été rappelé que depuis près de 150 ans qu’existe l’UIT, l’intérêt commun avait toujours été défendu et porté en avant, même si cela nécessitait parfois des débats passionnés…

Candeur ? Sens des réalités ? Nécessité de changer et répartir les pouvoirs ? Besoin crucial d’éviter que certains pays forts peu démocratiques mettent la main au cœur d’Internet ? Le spectacle qui émerge de cette petite crise est inquiétant. Dans les coulisses du Net se joue l’avenir de ce qui est plus qu’un média désormais.

Quelle que soit en définitive la direction prise, on peut craindre pour l’essentiel, au-delà des enjeux économiques : nos libertés.


21/05/2012
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