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Devenu trop grand, Internet a subi des perturbations

Devenu trop grand, Internet a subi des perturbations

Internet a subi une panne le 12 août. En cause, une croissance du réseau mal maîtrisée. Un problème plus humain que technique et qui pourrait se reproduire.

Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais Internet est brièvement et partiellement tombé en panne, mardi 12 août.

Plusieurs sites, notamment en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis, ont souffert de ralentissements et, dans des cas plus rares, ont été coupés du réseau. Pour les utilisateurs, les dommages ont été discrets. Mais en coulisses, là où des techniciens s'assurent du bon fonctionnement d'Internet, cela a été nettement plus sérieux.

Une « carte d'Internet » mise à jour trop vite


Pour comprendre ce qu'il s'est passé, il faut plonger dans les arcanes du réseau. Internet est une gigantesque toile d’araignée. Des millions de serveurs, appartenant à des entreprises, plus ou moins grandes, qui communiquent entre eux. Lorsque vous entrez une adresse dans votre navigateur ou cliquez sur un lien, votre connexion va cheminer de serveurs en serveurs jusqu’à sa destination.

Aux points d’intersection de ce réseau se trouvent des routeurs. Ces sortes de gros ordinateurs remplissent le rôle de postes d’aiguillage en répertoriant, dans ce qu’on appelle une « table de routage », tous les différents chemins possibles que peuvent emprunter les données pour parvenir à destination. Tous les routeurs du réseau communiquent entre eux et se transmettent les mises à jour de cette table de routage, afin que leur « carte d’Internet » soit en permanence à jour.

C’est fondamental pour qu’Internet puisse fonctionner, car il est en mouvement permanent : il grandit et le nombre de chemins possibles avec. Depuis le début d’Internet, on ajoute au fil des années des chemins à cette table. C’est ce qu’a fait l’opérateur de télécommunications américain Verizon, qui a rajouté mardi plusieurs milliers de chemins sur ses routeurs.

La limite des 512 000 routes

Comme tous les routeurs de la planète parlent entre eux, ils ont commencé à répercuter les changements impulsés par Verizon. Problème : de nombreux routeurs un peu dépassés mais encore nombreux ne pouvaient pas gérer plus de 512 000 routes. Avec l’ajout de Verizon, le total dépassait cette limite. Résultat, ils ne pouvaient rien faire du tout et n’ont plus rempli leur rôle. Et tous les sites ou utilisateurs desservis par ces routeurs ont subi des ralentissements ou, pire, ont été totalement inaccessibles du reste du réseau pendant quelques heures.

Ce petit hoquet d’Internet, s'il a provoqué des ralentissements et mis quelques sites hors ligne pendant plusieurs heures, n’a pas eu de conséquence majeure au niveau mondial. « Nous avons détecté sur Internet certains changements de route, des problèmes de latence et de baisse de performance plus que de véritables interruptions », constate Frédéric Dhieux, responsable réseau et infrastructures au sein du groupe Rentabiliweb (qui explique avoir « prévu bien à l'avance le problème » et remplacé « tous les cœurs de réseau »).

« C’est un peu comme le bug de l’an 2000 »

« C'est un incident significatif mais d'impact limité : il n'a concerné que certains types d'équipements assez anciens, d'un constructeur particulier, dans leur configuration par défaut, utilisés plutôt en périphérie que sur le cœur du réseau proprement dit », estime Pierre Beyssac, fondateur de l'entreprise spécialisée Eriomem et ancien responsable système et réseaux de Télécom ParisTech. « C’est un peu comme le “bug de l’an 2000”, il y a eu des perturbations, mais elles étaient localisées », abonde Stéphane Bortzmeyer, ingénieur réseau et spécialiste de l’architecture d’Internet.

Un problème humain plus que technique

Que faire pour éviter ce genre de pannes ? Techniquement, pas grand-chose : il s’agit davantage d'un problème humain que d’un bug technique. Depuis plusieurs mois voire plusieurs années, les experts du réseau alertent en effet sur le nombre croissant de routes. En juin, l’entreprise Cisco, qui fabrique des routeurs, avait par exemple averti ses utilisateurs.


L'évolution continue du nombre de routes depuis le milieu des années 90.

Malgré son impact limité, cette panne montre en réalité certaines carences dans la gestion technique d’Internet, un domaine obscur mais nécessaire à son bon fonctionnement.

Chaque fournisseur d’accès à Internet, chaque hébergeur, bref chaque acteur qui dispose de routeurs est responsable de l’entretien de son petit bout de réseau. En s’assurant, par exemple, que ses routeurs pourront gérer l’ajout de nouvelles routes. Cette interdépendance, frôlant l’autogestion, est prise en défaut lorsque des gens ne font pas correctement leur travail. Frédéric Dhieux explique :

« C'est à chacun de prendre ses responsabilités. Ceux qui ont été touchés sont ceux qui n'ont pas pris les mesures appropriées. Ils n’ont pas suffisamment anticipé ce problème. »

« Ne pas avoir pris ce genre de précaution, c’est comme un capitaine de bateau qui prend la mer sans regarder la météo », juge pour sa part Stéphane Bortzmeyer.

Une panne susceptible de se reproduire

« Le problème va revenir dans quelques semaines »
Si le nombre de routes est repassé sous les 512 000 (l'ajout par Verizon des quelques milliers de routes à l'origine de la panne était une erreur), la croissance d’Internet, ininterrompue depuis sa création, amènera inévitablement leur nombre au dessus de cette barre fatidique. Actuellement, il est aux alentours de 500 000.

Et rien ne dit qu’après la panne de mardi tous les serveurs soient capables de gérer cette évolution. Dans de nombreuses petites entreprises, les moyens manquent pour effectuer une mise à niveau coûteuse des routeurs, et la priorité n'est pas toujours donnée à ce type de maintenance qui ne présente que peu de retour sur investissement immédiat. M. Bortzmeyer avertit :

« Le problème va revenir pour de bon dans quelques semaines, lorsqu’on passera définitivement la limite des 512 000 routes. »

« Cet incident montre que tout le monde n'est pas préparé à passer ce seuil. En un sens c'est une chance, cet événement a rappelé que ce seuil allait arriver », renchérit Frédéric Dhieux.

Il est urgent de continuer comme avant

Que faire pour éviter qu’une panne similaire survienne dans les prochaines semaines ? Rien n’oblige, dans les faits, les ingénieurs réseaux à mettre à jour leurs équipements (sinon pour leur bon fonctionnement).

Certains, comme Frédéric Dhieux, estiment que l’Anssi, l’organisme de l’Etat chargé de la défense des réseaux français, pourrait jouer un rôle de veille, d'information et d'alerte sur ces questions. Pour d’autres, comme Stéphane Bortzmeyer ou Pierre Beyssac, cela ne ferait qu’ajouter une source d’information à un secteur qui n’en manque pas.

La seule solution : rappeler la responsabilité des petites mains d’Internet. Une option qui a, à l’exception de ce type de pannes limitées, fait largement ses preuves.

Martin Untersinger
Journaliste au Monde 



19/08/2014
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